Xavier Roux in the media


Le Monde

Sylvain Cypel

20 Février 2010

 

La fourmi géante de Robert Desnos, au cœur d'un miracle new-yorkais 

 

Bien sûr, il y a beaucoup de travail. Mais l'affaire tient d'abord du miracle. La galerie Invisible Dog ("le chien invisible"), dans le quartier de Brooklyn, à New York, expose une fourmi de 18 mètres de long et 4 mètres de haut, avec un canotier sur la tête. "Eh pourquoi pas ?", interrogeait Robert Desnos, en 1942, dans son poème ("Une fourmi de dix-huit mètres, avec un chapeau sur la tête, ça n'existe pas, ça..."). L'artiste français Xavier Roux lui a donné corps et âme. 

Une tonne et demie de squelette et de pattes d'acier enserrent quatre ballons ultralégers en polyuréthane et nylon cousus sur mesure, fabriqués par une société spécialisée travaillant pour des clients très regardants : l'armée américaine, les plateformes géostationnaires... Comme oppressée dans un vaste espace, l'oeuvre diffuse un mélange d'humour innocent et de gravité monumentale. 

 

Xavier Roux dit l'avoir "rêvée" depuis l'âge de 6 ans. "La Fourmi, c'est le premier poème que j'ai appris." Bien plus tard, cet attrait s'est transformé en obsession, après avoir su l'engagement de Desnos dans la Résistance, sa déportation en 1944 à Buchenwald dans un wagon plombé de 18 mètres qui "n'existe pas" et son décès du typhus dans le camp de Terezin. 

Xavier Roux a proposé sa fourmi à Lucien Zayan, qui l'accueille dans sa galerie aujourd'hui et lui a dit "on y va" sans hésitation. Arrivé aux Etats-Unis en 2009, Zayan a passé dix ans auprès de Stéphane Lissner au Festival d'art lyrique d'Aix- en-Provence. Il est l'archétype du "mercurien" qu'étudie Yuri Slezkine dans son Siècle juif, récemment publié (La Découverte, 2009) : "Ma mère m'a toujours dit : "Lucien, n'aie rien, on peut toujours tout te prendre"..." 

 

Diplômé d'HEC 

Dans la veine conte de fées, il a transformé, en un an, les gravats d'Invisible Dog en un espace unique qu'il loue à un propriétaire admiratif : 2 300 m2 sur trois niveaux - 700 m2 au rez-de-chaussée, dont une salle de 450 m2 sous 4,60 mètres de plafond pour les expositions et autres événements ; le reste aménagé en studios d'artistes. 

Dans le genre sorti des sentiers battus, Roux n'est pas mal non plus. Ce diplômé d'HEC débute, en 1989, chez un grand chasseur de têtes aux Etats-Unis : objectif Wall Street. "Le jour de mes 10 000 jours (27 ans et 3 mois), j'ai su que cette vie n'était pas pour moi." Il lâche tout en 1997. Un an plus tard, il expose des "peintures transparentes". 

En 2008, il a contribué au spectacle Rêves et possibilités du groupe Praxis, au Whitney Museum. Auparavant, il avait lancé l'Artist Studio Project avec le laboratoire de recherche de Yahoo !, à l'université de Berkeley (Californie). 

Quant à la Fourmi, le dynamisme de Zayan et le talent de Roux auraient été insuffisants "sans Juan", admettent-ils. Juan Alfaro avait bâti L'Araignée, de Louise Bourgeois, pour le Guggenheim. "C'est un extraordinaire artisan d'art, dit Zayan. 

Xavier a imaginé la structure, Juan l'a mise en vie - ce dernier est rentré par hasard à Invisible Dog, il cherchait une grande salle pour son mariage. Je vous jure que c'est vrai."

D'autres soutiens sont arrivés, dont ceux de Jacques Fraenkel, exécuteur testamentaire de Desnos, et de l'écrivain Florence Delay. Xavier Roux avait proposé sa Fourmi à la Mairie de Paris, en 2005, pour le 60e anniversaire de la libération des camps. "Il fallait passer par New York pour montrer que c'était possible. Maintenant on discute pour la faire venir en France." 

"La Fourmi" de Xavier Roux. The Invisible Dog. 51 Bergen Street, Brooklyn, New York (Etats-Unis). Jusqu'au 4 avril. 

 

 Sylvain Cypel